Cette journée s’annonçait des plus banales. Pour quelqu’un qui était visiblement loin de se considérer comme tel, c’était un affront, une insulte à l’égard de ses capacités et de ses compétences. Il méritait beaucoup plus qu’embaucher sur des quêtes d’escorte ou de recherche d’objets perdue. Mais pour le moment il devait faire profil bas au risque d’en subir une fois de plus les conséquences. Lorsque notre répondant frôle l’impertinence à l’égard d’individus hiérarchiquement supérieurs, on s’en attire forcément les foudres de leur mécontentement. Notre jeune Iwa-jin s’abstint donc de rétorquer quant à l’annonce du programme de cette nouvelle journée par sa Sensei et se contenta tout simplement d’acquiescer par un large rictus, un sourire insincère et hypocrite. La journée se déroula relativement bien outre les remarques horripilantes et incessantes du jeune Zenku à l’égard de ses deux coéquipières. Les missions s’enchainaient à un rythme tout à fait convenable. Le seul vrai travail à présent c’était celui d’améliorer l’entente entre les membres du groupe, en soi cela pouvait paraitre comme quelque chose de simple et évident à faire, mais c’est que la grande gueule de cette équipe avait du caractère et du répondant, ce qui compliquer un peu la chose. C’était une question de temps avant qu’il ne se rende compte que son comportement était fortement préjudiciable. À lui en particulier, mais aussi à l’équipe par la même occasion. Lorsqu’il y parviendrait enfin, cela impacterait irrémédiablement leur travail d’équipe.

La journée se boucla donc sans autres incidents verbaux à relever. Quittant nonchalamment le terrain d’entrainement par lequel ils étaient passés pour débriefer de cette journée riche en émotion et saluant son équipe d’un bref geste de la main, il s’en retourna au domicile familial, une petite maisonnée à l’architecture assez atypique logée en bordure du village. C’est accompagné par l’halo orangé du soleil s’enfonçant dans la pénombre que ses pas répétaient un rituel quotidien et routinier qu’il s’imaginait déjà la soirée de folie qui l’attendait : il lierait quelques chapitres du bouquin de médecine de sa mère tandis que celle-ci serait préoccupée avec son père à parler de choses qui soi-disant pour l’instant « ne le regardaient pas », et « qu’il apprendrait en temps et en heure ». Foutaises pensait-il. Mais après tout chacun a ses raisons et il était intimement persuadé qu’il ne tarderait pas à découvrir pourquoi il y avait tant de mystères et cet éreintant mutisme au sein du cercle familial. C’est en parcourant les derniers mètres tout en s’imaginant moult hypothétiques raisons que ses pas rencontrèrent enfin le seuil de la porte, le tirant alors de ses pensées. Intrigué de ne pas entendre le vacarme provoqué par la vaisselle qui s’empilait quotidiennement à cette heure, ou l’harmonieuse mélodie de l’instrument de son père, il posa nonchalamment sa main sur la poignée de porte et hésita à la tourner. Hésitation stupide, pourquoi ce jour ne ressemblerait-il pas aux précédents ? pensait-il. Poussant la porte d’un geste vif et assuré, son regard n’eut pas d’autre choix que de se plonger dans celui de ses parents, assis tous deux sur la table faisant face à la porte.

« Bon… soir »

Un pas, deux pas, détournant son regard puis le déviant une fois de plus vers ses parents, il poursuivit en esquissant son fameux « faux » sourire, le trahissant assurément d’un malaise.

« Ce silence oppressant me laisse bien imaginer que vous avez quelque chose à me dire. Mais je n’ai pas encore le don de pouvoir lire dans les pensées, alors quand vous aurez fini de me dévisager comme ça, peut-être que vous me direz quel est l’objet de cette réunion familiale. Non pas que je risque de trouver ça ennuyeux, mais j’ai des stratégies à travailler ce soir pour la journée de missions qui m’attend demain »

« Tu as sans doute remarqué que ta mère a pris du poids ces derniers temps. Mais avec tes journées bien remplies je suppose que tu n’as peut être pas fait attention »

"Pas fait attention ? Je trouvais cette remarque plutôt.. désobligeante, même plutôt insultante. Je vis sous leur toit, alors comment ferais-je pour ne pas voir les choses qui se déroulent sous mes yeux ? À moins de le faire exprès et encore… C’est bien vrai qu’elle avait pris du poids.. Et alors ? Quelle explication rationnelle pourrait-on donner à cela ? Un laisser-aller ou quelque chose dans le genre peut être"

Pourri gâté et au centre de toutes les attentions depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui c’était le moins que l’on puisse dire.., il ne voulait pas se résoudre à ce qu’il y ‘avait de plus évident. Pour lui il n’était pas concevable que sa mère attende un second enfant, celui qui lui « volerait » sa place, pensait-il. Sa trop grosse fierté l’empêchait tout naturellement d’exprimer son dégout quant à cette supposition, même s’il s’avérait qu’elle était tout à fait juste. Sa mère, grande nerveuse de nature sentit un malaise s’appesantir dans la pièce. Assise profondément au fond de son siège, elle se leva d’un bond, inspira et expira aussitôt avant de prendre la parole, posant fébrilement ses mains sur les épaules de son fils tout en le regardant dans le blanc des yeux.

« Écoute.. Cela ne changera en rien notre relation. Tu es notre fils et tu resteras.. Et au même titre que ta petite sœur, vous resterez ce que nous avons de plus précieux dans notre vie. Tu n’as pas à être méfiant et te dire qu’

Avant même que la jeune mère ne puisse terminer sa phrase, Zenku se dégagea de l’étreinte maternelle tout en ricanant, au plus grand étonnement de son paternel, troublé et stupéfait. Baissant le regard vers le sol, ses mains se blottirent à l’arrière de son crâne. Avec des gestes de va et-viens il desserra le nœud de son bandeau frontal, celui-ci glissa rapidement le long de son visage avant de se loger dans le creux de sa main droite. Relevant les yeux vers ses parents encore sous le joug de l’étonnement. Il brandit vers eux son bandeau avec un regard .. sombre.

« Je la mettrai au défi de l’avoir aussi rapidement que moi..

Le fait de retirer son bandeau et de le tendre de cette manière à leur visage sonnait comme une provocation, du moins c’est comme cela que son père le prit. Avant même de pouvoir rétorquer quoi que ce soit à son fils, celui-ci quitta la maison tout en prenant soin de claquer la porte derrière lui. Sa mère se retourna, mine déconfite, et plongea dans les bras de son mari. Larme à l’œil, elle évoqua avec amertume l’échec de l’éducation de leur fils. Elle ne comprenait pas son comportement. Elle ne voulait pas le comprendre. Il était intelligent, mais avait un caractère des plus déplaisants. Elle était triste et en colère, se sentait impuissante et savait que s’il continuait de cette voie, cela lui causerais des problèmes

« Moi je la mettrai au défi de ne pas devenir comme toi.. En espérant que tu changes mon fils..